Anora: Une Palme d’or en toc

Henri Astier
2 min readNov 9, 2024

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Anora avait à priori tout pour me plaire: humour noir (le réalisateur, Sean Baker, est souvent comparé aux frères Coen); intrigue originale (choc des cultures entre le fils immature d’un oligarque russe et une strip-teaseuse à la gouaille brooklynienne); récompense suprême à Cannes; critique dithyrambique.

Or je n’ai pas accroché. Malgré quelques passages amusants, faisant intervenir notamment les sbires new-yorkais du père, Anora souffre de défauts rédhibitoires:

a) Longueurs: le trois premiers quart d’heures multiplient les scènes de bamboulas, de club VIP en jet privé, à grand renfort de stupre et de stups. Mais on a vite compris que le jeune Russe est un fêtard gâté qui profite du séjour que lui offrent ses parents en Amérique pour faire tout sauf des études. Et pas besoin de 50 représentations de coïts frénétiques pour saisir ce qui l’attache à la jeune femme.

b) Pauvreté du dialogue: le cinéaste a manifestement opté pour des conversations semi-improvisées. Cela marche avec des acteurs qui savent transmettre l’émotivité d’un regard, comme chez Mike Leigh. Ici, les interprètes pataugent. En fin de compte ils retombent immanquablement sur des exclamations convenues — comme si un 92e “fuck” pouvait rendre une réplique plus intense.

c) Prétention: le cinéaste cherche à transcender les genres. A la fois comédie, tragédie et thriller, Anora sert un cocktail affectif mêlant tendresse, fureur, exaltation, effroi, surprise, désespoir… Tout est fait pour exprimer ces passions de façon paroxystique — notamment dans la scène finale. Résultat: ce qu’on perçoit, c’est plus l’effort déployé pour susciter des émotions fortes que ces émotions elles-mêmes.

J’ai cherché à savoir pourquoi ces 140 minutes poussives avaient remporté la Palme d’or. Je me suis aperçu qu’Anora avait moins séduit les spectateurs que la critique officielle.

Sur Rotten Tomatoes, les professionnels plébiscitent le film à 98%. En revanche Google, vox populi manipulable certes mais manipulable dans les deux sens, lui accorde un score de 3.5 sur 5 seulement — soit 70%. Sur Metacritic les opinions sont encore plus mitigées: 62%.

Anora, j’en conclus, correspond moins à l’idée que le grand public se fait du divertissement qu’à l’idée qu’une certaine critique se fait d’un divertissement grand public.

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Henri Astier
Henri Astier

Written by Henri Astier

London-based French journalist: BBC, The Critic, Time Literary Supplement, Persuasion, Contrepoints.