Esquisse d’une typologie des musiques de film

Henri Astier
3 min readDec 3, 2023

--

Ma critique de May December parue dans ces colonnes mettait l’accent sur la musique du film. J’en profitais pour proposer mes services en tant de “coordinateur musical” dans le cinéma.

Je souhaite prolonger ma réflexion par un article que je vais soumettre à la Revue internationale de musicologie appliquée, et qui établira un cadre théorique à l’étude des musiques de film.

J’ai décidé de livrer ici, en avant-première, un résumé de ce texte. L’ébauche qui suit est destinée à tester mes idées, tout en précisant la nature de mon offre de services. Tout commentaire de la part des lecteurs sera le bienvenu.

Il existe trois types de musique de film:

- La “bande originale” (BOF): il s’agit de la forme de composition la plus noble. La musique est créée pour le film, mais elle conserve une qualité artistique intrinsèque. Le support pelliculaire est mis en valeur par la BOF tout en lui servant d’outil de diffusion. Il y a un échange égal entre les deux.

Cette dialectique son-image fait son apparition dès l’après-guerre — cf Le Troisième homme (1949) et de Jeux interdits (1952). L’avènement de la hi-fi dans les années 60 encourage les producteurs à mettre le paquet sur la BOF: Michel Legrand surfe sur cette vague. Le néo-classicisme du tournant des 1970s (opéras rocks, pop orchestral) encourage les bandes musicales grandioses. Sous l’influence du punk, puis du clip vidéo dans les années 80, cette forme d’expression s’essouffle quelque peu, pour revenir en force avec Le Piano (1993) et Jude (1996).

Chacun aura ses exemples favoris. Mais le maître incontesté de la BOF reste Ennio Morricone, dont le génie a élevé le symphonisme cinématographique au statut de grand art.

- La “musique de service”: il s’agit d’un fond sonore subordonné à l’image. Il n’y pas d’échange égal. Le metteur en scène demande au compositeur de lui fournir du suspense, du sentimental ou de la fureur… Cette musique de commande est conçue pour être davantage entendue qu’écoutée.

Ce genre fait florès à la grande époque des studios et s’éclipse après 1964, année de sortie des Parapluies de Cherbourg et de Pour une poignée de dollars. L’alliance entre le réalisateur star et son maestro porte un coup aux tâcherons de la partition sur mesure, tout en forçant les meilleurs à hausser le niveau (Philippe Sarde, Maurice Jarre).

Ces derniers prennent leur revanche avec Les Dents de la mer (1975), qui marque le retour du studio system. Pas question de nier le talent des John Williams et autres: ils sortent renforcés de la concurrence des BOFistes. Il n’y a qu’à écouter la soupe qui dégouline de films de Hitchcock de années 50 pour se convaincre du progrès. Il reste que le compositeur de service pratique un art mineur. C’est davantage un artisan qu’un artiste; sa musique ne vole pas de ses propres ailes.

- Le “spicilège”: ce type de musique n’est pas conçu à l’original pour un film. Les producteurs se contentent de choisir, parmi le stock de variétés ou de classiques disponibles, les morceaux qui conviennent le mieux aux scènes en question.

Le spicilège n’a rien de nouveau. George Cukor utilise la chanson Parlez-moi d’amour dès 1932. Le rockabilly des fifties accompagne Blackboard Jungle, The Girl Can’t Help It et toute la filmographie d’Elvis Presley. C’est toutefois à la fin des années 60 que le cinéma exploite pleinement cette option. Le concerto de piano n. 21 de Mozart est indissociable du film Elvira Madigan (1967), tout comme certains tubes de Steppenwolf évoquent automatiquement Easy Rider (1969).

De nos jours, le spicilège est la règle. Pas un film ne sort sans sa bande sonore issue des playlists de Chérie FM, Radio Classique ou Skyrock. Le coordinateur musical contemporain n’est ni un artiste, ni un artisan, mais un compilateur.

Cette tâche exige des compétences, notamment une connaissance approfondie des répertoires, ainsi qu’une certaine inventivité. Il faut savoir jouer sur les contrastes — mettre par exemple un air triste sur une scène de pantalonnade — un peu comme un cuisinier mêlant le sucré au salé. C’est dans la stricte limite de cet humble métier que je proposais mes services à l’industrie cinématographique.

--

--

Henri Astier
Henri Astier

Written by Henri Astier

London-based French journalist: BBC, The Critic, Time Literary Supplement, Persuasion, Contrepoints.

No responses yet