Le chant du vivant

Henri Astier
2 min readSep 4, 2019

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Dans la dernière édition de son émission Répliques, Alain Finkielkraut pose la question: “Avons-nous les mots pour regarder le monde dans toute sa beauté, ses détails et sa fragilité?”

Comme lui, les deux invités constatent les lacunes de notre vocabulaire devant le monde naturel. L’idée est résumée par le titre du livre de l’un d’eux: Le détail du monde: l’art perdu de la description de la nature. Finkielkraut avoue qu’il a eu recours au dictionnaire en le lisant: il ignorait ce qu’étaient des élytres, une phalangère, une mangrove, une euphorbe, des fous de Bassan ou des macareux moines, etc.

Finkielkraut signale ce paradoxe: “L’inquiétude écologique est omniprésente et elle est même à son comble et, parce que les mots nous font défaut, nous jetons sur le monde un regard inattentif et distrait.”

C’est vrai que nous autres modernes parlons souvent de la nature en termes vagues — nous sommes obnubilés par la “biodiversité”, la “biovigilance”, la “traceabilité” — sans pouvoir nommer les espèces en danger. Notre souci pour elles a quelque chose de désincarné, de général, bref de très peu naturel.

En guise d’antidote, je cite cet extrait du dernier roman de Michel Houellebecq, Sérotonine, qui, lui, communique de façon jouissive cet amour du vivant dans ce qu’il a de plus concret:

“Un petit guide très bien fait, édité par les éditions Ouest-France, que j’avais acheté au Super U de Saint-Nicolas-le-Bréhal, m’avait révélé l’ampleur du phénomène de la pêche à pied, ainsi que l’existence de certaines espèces animales telles que les galathées, les mactres, les anomies et les scrobiculaires, sans oublier la donace des canards, qui se cuisine poêlée avec une persillade. Un espace de convivialité se jouait là, j’en avais la certitude… La confrontation n’allait pas sans risques, le guide m’en avertissait sans ambages : la petite vive pouvait infliger des douleurs insupportables, c’était le plus virulent des poissons ; si l’anomie était facile à pêcher, la capture du scrobiculaire demandait patience et agilité ; la prise de l’ormeau ne pouvait s’envisager sans l’aide d’un croc à longue tige ; aucune marque, il fallait le savoir, ne permettait de repérer les palourdes.” (Sérotonine, pp. 220–221).

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Henri Astier
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Written by Henri Astier

London-based French journalist: BBC, The Critic, Time Literary Supplement, Persuasion, Contrepoints.

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